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femmes. Alain connaissait toutes les femmes et deux des hommes.

— Tu connais Marc Brancion ?

— Non.

— Enfin, c’est une façon de parler.

C’était une façon de parler, en effet : on connaît les héros. Autrefois, on les voyait sur la place publique, maintenant, on les voit et les entend dans les cinémas. Et bientôt, par la télévision, leur recès le plus intime sera de verre ; alors régnera une totale fraternité.

Brancion avait une gueule de héros : le teint plombé par la fièvre et les dents broyées par quelque accident brutal. On regardait avec beaucoup de considération cet homme qui avait volé et tué, car il l’avait fait par lui-même, ce qui n’est pas l’habitude des maîtres de notre époque.

Alain regarda Brancion qui ne le regarda pas.

— Veux-tu du porto ?

Lavaux, qui avait toujours du très bon porto, refusait de donner des cocktails. Il gardait la tradition de sa mère. Et de son père ?… Peut-être, mais il avait à choisir entre plusieurs pères : un prince, un peintre, un acteur sorti du peuple. Avec bon sens, il s’en tenait à sa mère et jouissait du riche mystère, de la rare liberté d’être un bâtard.

— Madame est servie.

On passa du salon dans la salle à manger. Ce