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Brancion tourna la tête vers Alain, le regarda paisiblement blêmir, puis revint à Solange.

La sueur perlait au front d’Alain. Pour comble de honte, le regard de Solange croisa le sien. Soumise à l’autorité de Brancion, elle se moquait de lui sans méchanceté, sans pitié.

Il y avait eu un silence, une crispation de tous les visages. Mais Cyrille, avec force gestes et force paroles, déjà se débarrassait et débarrassait les autres de toute honte.

De l’autre côté de la table, Alain alla encore cueillir le regard apitoyé de Fauchard ; Mignac eut le tact de lui refuser le sien.

C’était fini.

Il but. Anne et Maria se tournaient gentiment vers lui, mais tout d’un coup, il était ivre. Ivre de honte.

« J’aurais voulu être comme Brancion, se disait-il tout bas avec un frisson de petit enfant. Puisqu’en tout cas, qui qu’on soit, on a envie des mêmes choses que tout le monde, comme tout le monde, il faut s’occuper de les prendre et les prendre à tout le monde. Ensuite on peut tout mépriser, choses et gens. Mais pas avant, pas avant. Avant, on est un estropié qui crache sur les gens qui marchent droit. J’ai humilié, déshonoré le beau sentiment de mépris qui m’avait visité. Ma vie est à écraser du pied. »

On sortit de table. En passant d’une pièce dans l’autre, il gémit encore à mi-voix :