Ces pauvres gens, mis à la porte une première fois, sont rentrés petit à petit chez eux. Ils n’ont pas de fortune, en effet ; ils ne peuvent vivre en dehors du monastère où ils ont installé leur vie, où leur bibliothèque est restée, où ils ont ces habitudes de travail qui sont, chacun de nous le sait, si importantes pour les lettrés.
Parmi les radicaux, même violents, beaucoup, sachant cela, auraient gardé le silence, en se disant que les représentants de cet ordre qui a sauvé la civilisation au moyen âge, qui a recueilli dans les cloîtres les chefs-d’œuvre de l’esprit humain, sont un peu nos confrères.
Le journal Paris organisa une véritable campagne de délation contre ces religieux qui unissaient la science et la foi, l’amour de Dieu et l’amour des lettres. Il connaissait le caractère de Freycinet : il savait que ce Pilate cède toujours, qu’il est toujours prêt à sacrifier le Juste, et qu’il n’hésiterait pas, pour avoir la paix, à se déshonorer, en expulsant des hommes dont il avait été l’hôte, le protégé, l’obligé ; il le mit en demeure d’agir.
Voilà ce dont il faut qu’on se souvienne, car la race se peint là tout entière. Nous sommes incapables d’actes de cette nature. Quand les Juifs seront de nouveau au ban de l’Europe, nous saurions que des rabbins se réunissent pour myauder que nous ne les dénoncerions pas.
Officiers qui m’avez fait par centaines l’honneur de m’écrire, faites lire ce passage à vos camarades. Quand on se présentera pour mettre Veil-Picard et ses congénères à la porte de chez eux, ils protesteront ; ils parleront de la tolérance, de l’inviolabilité du domicile. Répondez à Veil-Picard : « Juif, voilà ce que tu as fait.