Page:Du Bellay - Œuvres complètes, édition Séché, tome 3.djvu/51

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Mon Dieu (ce diras-tu), quel miracle est-ce ci,
Que de voir Dubellay se mesler du mesnage,
Et composer des vers en un autre langage !
Les loups et les aigneaux s’accordent tout ainsi.

Voilà que c’est, Morel : la douce poesie
M’accompagne par tout, sans qu’autre fantasie
En si plaisant labeur me puisse rendre oisif.

Mais tu me respondras : Donne, si tu es sage,
De bonne heure congé au cheval qui est d’aage,
De peur qu’il ne s’empire, et devienne poussif.

XIX

Ce pendant que tu dis ta Cassandre divine,
Les louanges du Roy, et l’heritier d’Hector,
Et ce Montmorency, nostre François Nestor,
Et que de sa faveur Henry t’estime digne :

Je me pourmeine seul sur la rive Latine,
La France regrettant, et regrettant encor
Mes antiques amis, mon plus riche tresor,
Et le plaisant sejour de ma terre Angevine.

Je regrette les bois, et les champs blondissans,
Les vignes, les jardins, et les prez verdissans,
Que mon fleuve traverse : ici pour recompense.

Ne voyant que l’orgueil de ces monceaux pierreux,
Où me tient attaché d’un espoir malheureux,
Ce que possede moins celuy qui plus y pense.

XX

Heureux, de qui la mort de sa gloire est suyvie,
Et plus heureux celuy, dont l’immortalité
Ne prend commencement de la posterité,
Mais devant que la mort ait son ame ravie.

Tu jouys (mon Ronsard) même durant ta vie,
De l’immortel honneur que tu as merité :
Et devant que mourir (rare felicité)
Ton heureuse vertu triomphe de l’envie.

Courage donc (Ronsard), la victoire est à toy,
Puis que de ton costé est la faveur du Roy :
Jà du laurier vainqueur tes tempes se couronnent,