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Page:Du Camp - Les Convulsions de Paris, tome 1.djvu/310

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LA GRANDE-ROQUETTE.

son agonie furent terribles. Ce jour-là son pontife, celui que l’on appelait volontiers le vétéran de la démocratie et de la révolution, Delescluze, allait mourir. Il avait alors soixante-deux ans ; il avait beaucoup souffert, avait connu les geôles, l’exil, la déportation. Il était d’une santé délicate, souvent malade, et, malgré son énergie naturelle centuplée par les évènements qu’il tentait de diriger, il était parfois affaissé et paraissait beaucoup plus âgé qu’il ne l’était réellement. C’était un vieillard ; malgré les soins recherchés qu’il prenait de sa personne, il en avait l’aspect et la débilité. Depuis la disparition de Rossel, tout le poids de la lutte retombait sur lui. Membre du Comité de salut public, délégué à la guerre, il faisait son noviciat militaire à un âge qui ne comporte plus l’apprentissage rapide et dans des circonstances dont la gravité dépassait singulièrement ses facultés originelles ; mais il était de ceux qui s’imaginent que les convictions et les passions politiques tiennent lieu de talents naturels ou acquis. Il se croyait homme d’action parce qu’il était jacobin ; il avait accepté, sans contrôle ni critique, toutes les légendes de la révolution : Robespierre était son idéal et son idole ; il n’était pas éloigné de croire à l’influence civilisatrice de la guillotine et se figurait avec une naïve sincérité qu’il portait seul l’héritage des « géants de 93 ».

Comme la plupart des sectaires de son espèce, il avait l’intelligence courte et acérée. Beaucoup plus bourgeois que démocrate, quoi que l’on en ait dit, s’il rêvait le gouvernement du peuple par le peuple, c’était à la condition de représenter celui-ci au pouvoir, ou plutôt à la dictature, car, pour lui, comme pour d’autres, « la force prime le droit ». Quoique les illusions qu’il se faisait sur lui-même et son ambition démesurée l’aient toujours poussé à lutter contre tout état de choses qu’il ne dirigeait pas lui-même, quoiqu’il se fût associé