Page:Du Camp - Paris, tome 1.djvu/267

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œillères qui permettent de découvrir la voie en face et latéralement. De cette façon, ils sont abrités contre les intempéries, contre le froid, contre la neige aveuglante, contre la pluie fouaillée qui abrutit si bien qu’un mécanicien à qui l’on demandait pourquoi, un jour d’orage, il n’avait pas obéi à un signal, a pu répondre avec véracité : Je l’ai vu trop tard ! L’objection formulée par les ingénieurs contre une amélioration que réclame l’humanité la plus ordinaire est très-nette : Si nous abritons nos mécaniciens, ils dormiront ! Cela est possible, et je ne suis pas apte à décider la question. La chaleur émanant du foyer incandescent, condensée sous la capote, que ne balayerait aucun courant d’air, serait peut-être plus intolérable encore que le froid et l’humidité. Pourtant dans les moments de tourmente, quand les mécaniciens sont entourés par une véritable tempête qui souffle contre eux avec une force irrésistible, il n’est pas rare de les voir s’endormir debout, appuyés sur les plats-bords de la locomotive, oscillants et comme anéantis par la trombe qui les entoure.

Ce métier est pénible, exceptionnellement pénible, non-seulement par la responsabilité qu’il entraîne, mais par les souffrances qu’il contraint à endurer ; toutefois l’homme est un animal si admirablement doué, qu’il se fait assez vite à ce rude labeur. Au bout de quinze jours ou de trois semaines d’exercice on n’y pense guère, et, comme un vieux matelot, on nargue la tempête. Ces hommes, du reste, hommes de courage, de prévoyance et de résolution, sont très-bien payés ; en dehors des primes qu’ils obtiennent facilement en ménageant le combustible, tout en arrivant aux heures réglementaires, ils gagnent environ dix francs par jour ; mais ce dur métier épuise vite leurs forces qu’ils sont obligés de réparer par une nourriture très-substantielle, et l’on peut croire qu’ils ne font pas grandes économies.