Page:Du Camp - Paris, tome 1.djvu/323

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nime, nous arrive de Belgique par les canaux du Nord et par l’Oise, sur les larges et profondes péniches qui, avant de retourner vers la Sambre et l’Escaut, chargent du savon et des écorces de jeunes chênes pour faire du tan.

Tout le transport du vin se faisait autrefois par eau ; jusqu’à la fin du seizième siècle, il fut même défendu de vendre le vin en gros ailleurs que sur la rivière ; aujourd’hui on confie plus volontiers les vins fins aux chemins de fer, et seuls les vins communs sont réservés à la Seine ; c’est la Bourgogne surtout qui nous en expédie, car sur 397 804 hectolitres 20 litres qui sont entrés à Paris en 1867, elle seule nous en a envoyé plus de la moitié. J’imagine que les mariniers qui nous apportent ces fûts, ces pipes et ces feuillettes n’engendrent pas la mélancolie, car l’usage veut que chaque homme ait le droit de disposer d’un tonneau de vin pendant son voyage. Cela peut sembler excessif, mais sur les rives où ils s’arrêtent afin d’acheter leur nourriture quotidienne, c’est pour eux une monnaie d’échange ; on leur donne du poisson, du pain, de la viande, ils payent en bouteilles pleines. Tout ne s’en va pas d’ailleurs en menue monnaie, tant s’en faut ; un marinier de haute Seine boit facilement dans sa journée, et sans en être troublé, cinq ou six litres de vin. On m’a même assuré qu’un bon tonnelier de Bercy buvait quotidiennement huit à neuf litres. Ces gens-là mangent peu, dorment dès qu’ils n’ont rien à faire et passent leur vie dans une sorte d’abrutissement vague qui leur laisse tout juste assez de lucidité pour accomplir leurs faciles fonctions.

Bercy, chacun le sait, est le lieu principalement réservé au débarquement des vins. C’est un étrange pays qui, par son aspect absolument spécial, a l’air d’être aux antipodes de Paris. Le quai n’a point de parapet ; une simple rangée de bornes écornées par les baquets