Page:Du Camp - Paris, tome 2.djvu/14

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Le Journal du Bourgeois de Paris n’est rempli que de lamentations sur le prix exorbitant des vivres : « Lors fut la chair si chère, que un bœuf qu’on avoit vu donner maintes fois pour huict francs ou pour dix tout au plus, coustoit cinquante francs ; un veau quatre ou cinq francs, un mouton soixante sols. » Pour remédier à ces maux, que faisait-on ? Le blé valait huit francs le setier (1 hect. 59) ; on défendit de le vendre plus de quatre francs, et l’on ordonna aux boulangers de fabriquer « pain bourgeois et on pain festis » à un prix en rapport avec celui qu’on imposait au blé. Le résultat fut immédiat : les marchands cessèrent de vendre, les meuniers de moudre, les boulangers de cuire, et la ville tomba dans une misère sans nom. On a beau se presser à la porte des boulangers, on ne peut se procurer le pain nécessaire ; vers le soir « ouyssez parmy Paris piteux plaintes, piteux cris, piteuses lamentations, et les petits enfants crier : Je meurs de faim ; et sur les fumiers, parmy Paris, en 1420, puissiez trouver ci dix, ci vingt ou trente enfants, fils et filles, qui là mouraient de faim et de froid, et n’estoit si dur cœur qui les ouyst crier : Hélas ! je meurs de faim, qui grand pitié n’en eust ; mais les pauvres mesnagers ne leur pouvoient ayder, car on n’avoit ne pain, ne bled, ne busche, ne charbon. »

Cette époque du reste est la plus triste, sinon la pire de notre histoire ; jamais peuple ne fut si près de sa fin. On pourrait croire qu’en cet état de souffrance et d’étisie la nation, parvenue au dernier degré de prostration, va se coucher et mourir. Nullement. Une énergie malsaine la met en mouvement ; elle se donne au diable, du moins ses complaintes le disent ; elle nargue la famine et la peste ; elle est prise d’un vertige que la pathologie sait expliquer, et elle danse cette étrange danse macabre dont la Mort mène le branle, et qui pour les affamés de ce temps est une sorte de consolation, car