Parfois, lorsque les longs rubans de tabac encore humide, s’accumulant entre les parois internes de la boite et le tambour emporté par la rotation, ne tombent plus avec régularité dans le sac ouvert qui les attend, un ouvrier passe son bras dans cette formidable machine et ramène d’un seul geste toutes les feuilles paresseuses. Il est impossible de voir cela sans trembler, car il suffirait d’un écart insignifiant pour que le bras, saisi dans la roue armée, retombât en lambeaux. Lorsque à ces hommes on fait une observation, ils se contentent de lever imperceptiblement les épaules et de sourire, avec une politesse qui n’est peut-être pas dénuée d’impertinence. On dirait, à voir leur hardiesse, qu’une longue habitude a créé entre eux et la machine une convention tacite en vertu de laquelle bien des imprudences sont tolérées sans être punies.
Du premier étage, où travaillent les hachoirs en gros, le tabac est ramené au rez-de-chaussée, dans une salle tout de bois et de dimensions telles qu’elle ressemble à une grange. C’est là qu’on établit les masses. Ce sont de véritables meules pareilles à celles que les paysans construisent dans les champs avec les foins et les tiges de céréales. Chaque masse contient en moyenne 40 ou 50 000 kilogrammes. Dans un tel amoncellement de matières végétales humides, la fermentation ne tarde pas à se déclarer ; les diverses espèces de tabac, pénétrées l’une l’autre par les émanations, acquièrent peu à peu une saveur égale qu’on dirait empruntée à la même essence. La chaleur augmente de jour en jour, gagnant du centre à la circonférence et atteint bientôt 75 et 80 degrés.
Un thermomètre très-attentivement surveillé et plongeant au cœur même des masses indique le développement du calorique. Dès qu’on peut soupçonner qu’il va dépasser le point scientifiquement déterminé, on fait des