Page:Du Camp - Paris, tome 2.djvu/22

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ment les choses auraient tourné ; car le peuple était exaspéré à force de souffrances et de privations[1].

Les accapareurs ont-ils eu part à cette détresse ? on peut le croire. Les traitants, comme on disait alors, avaient grand intérêt au renchérissement des denrées ; ils étaient maîtres du marché, y faisaient la hausse et la baisse selon leurs besoins. Le circonspect et prudent Delamarre n’hésite pas à dire que les agioteurs ne s’épargnèrent point pour profiter de ces lamentables circonstances. La princesse Palatine va plus loin et frappe plus haut ; elle accuse nettement madame de Maintenon. «Quand la vieille guenippe vit que la récolte avait manqué, elle fit acheter sur les marchés tout le blé qui s’y trouvait ; elle a ainsi gagné horriblement d’argent ; mais tout le monde mourait de faim. » La douairière d’Orléans faisait profession de haïr madame de Maintenon et l’on peut douter que l’imputation soit vraie. La correspondance de la Palatine a du reste gardé trace des misères de ce temps. Le 2 mars 1709, elle écrit : Je n’ai de ma vie vu une époque aussi triste. » Et le 9 juin : « Nuit et jour, on n’entend que des lamentations ; la famine est telle que des enfants se sont mangés les uns les autres. » Dans ces jours où, sauf quelques rares accès d’énergie, l’affaissement était au comble, tout finissait encore par des chansons ; on se vengeait par des épigrammes et l’on se croyait vraiment hardi quand on avait osé dire :

Après les cruelles horreurs
D’un hiver effroyable.
Nous croyons goûter les douceurs
D’un printemps agréable ;

  1. On trouve dans le Journal de Mathieu Marais une preuve des désastres que la France eut à supporter à cette époque : « Arrêt du 11 août 1720 qui défend de faire sortir du bois de noyer non ouvragé du royaume. C’est que l’espèce en est devenue rare depuis l’hiver de 1709. »