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Page:Du Camp - Paris, tome 3.djvu/254

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qu’en 1836 a traversé la France pour se rendre aux galères, on estime que notre temps n’est pas toujours aussi mauvais qu’on veut bien le dire. La chaîne mettait de trente à quarante jours pour atteindre Brest, Rochefort ou Toulon ; elle fut abolie par ordonnance royale du 9 décembre 1836. Les voitures cellulaires, conduites en poste, commencèrent à circuler le 1er juin 1837 ; elles faisaient en cinq ou six jours le trajet qui actuellement n’exige plus que trente-six heures.

Toutes les prisons de Paris sont munies de bibliothèques, et jamais, à moins de punition, on ne refuse de livres aux détenus qui en demandent. Chaque année, la préfecture de police consacre 2 500 francs à l’achat de volumes, car si elle comptait sur l’initiative individuelle, qui jadis avait entrepris cette œuvre excellente elle courrait grand risque de n’avoir bientôt plus une seule brochure à prêter aux prisonniers. Dans toutes les maisons de détention, ce sont les mêmes ouvrages qui sont le plus recherchés : romans de Walter Scott et de Fenimore Cooper, Voyages, Magasin pittoresque et Musée des familles. Les livres de morale et de religion sont si peu empruntés que la couverture en paraît neuve ; l’histoire non plus n’a pas grand succès ; quant aux livres de science, nul n’y touche. Ces volumes sont intéressants à feuilleter, car sur les marges blanches les condamnés ont écrit bien des phrases par où s’échappent leurs pensées secrètes. C’est un appel à la liberté, un souhait de vengeance, un souvenir pour un être aimé, une malédiction contre les juges, parfois une menace et une forfanterie ; sur un volume du Musée des familles j’ai lu : « Dix berges au grand pré, ça se tire, même à Cayenne ; on revient de partout avec un bon surin. » Le plus souvent c’est un dessin obscène, accompagné d’une légende dont on ose à peine se souvenir. Je montrais un volume ainsi maculé de grossières inepties