Page:Du Camp - Paris, tome 3.djvu/346

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Sous le règne de Louis-Philippe, à une réunion de la société secrète des Saisons, un homme proposa d’établir une conscription pour la prostitution, seul moyen d’éviter, disait-il, que les filles pauvres servissent au plaisir des riches. Un des auditeurs repoussa la motion et dit un mot saisissant : « Les riches n’ont que nos restes, nous le savons tous. » Rien n’est plus vrai, et si les riches, puisqu’on les appelle ainsi, savaient d’où sortent la plupart des drôlesses qu’ils associent clandestinement à leur existence, s’ils connaissaient leurs antécédents, s’il leur était donné de compter combien de fois elles ont été arrêtées pour vol, combien de fois pour faits d’immoralité, combien de fois pour vagabondage, combien de fois pour maladie, ils s’en éloigneraient avec horreur.

C’est lorsqu’elles ont été « ramassées », qu’elles ont passé la nuit au Dépôt, qu’elles sont réunies pour comparaître devant le chef de service qui les interroge, qu’il faut les voir pour les bien connaître. On les rassemble dans une sorte d’antichambre qui serait absolument obscure, si le gaz n’y brûlait depuis le matin jusqu’au soir. Assises sur des bancs de bois, le dos appuyé contre les murailles où leur tête a laissé de larges taches grasses, elles sont surveillées par un garçon de bureau et un garde de Paris. Si l’on mêlait ensemble des femmes venues du centre de l’Afrique, des îles de l’Océanie et des pentes de l’Himalaya, l’on n’obtiendrait pas un plus criant disparate. Quoique le fond des mœurs soit le même, les habitudes extérieures sont tellement diverses, que l’on peut se croire en présence d’êtres essentiellement différents les uns des autres. Là, sous le niveau réellement égalitaire de la réglementation administrative, toutes les catégories se rencontrent, et la femme élégante, parfumée, dédaigneuse, qui soupe à la Maison Dorée, est assise à côté de la pauvresse dépenaillée, coif-