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Page:Du Camp - Paris, tome 3.djvu/59

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tive que le Français manifeste pour l’émigration. Dans les races saxonnes et germaniques, les aventureux et les aventuriers, ceux qui ne trouvent point dans la mère patrie une existence assurée, qui se sentent tourmentés par ce malaise vague et indéfini auquel bien peu de jeunes gens échappent, font leur paquet et s’en vont vers les libres contrées de l’Amérique chercher des occasions de fortune. Chez nous, dans notre race gallo-latine, il n’en est point ainsi ; nous tenons au sol par des attaches si fortes et si tendres, que nous ne pouvons les briser.

La vie est dure au village, sans issue, restreinte entre le pénible labeur de la terre et l’impossibilité de se mouvoir dans un milieu étroit et surveillé. Là-bas, à Paris, on dit qu’il y a de l’ouvrage pour chacun, qu’on reconstruit toute une ville, qu’un bon ouvrier y gagne facilement cinq francs par jour, qu’avec de l’intelligence, des bras solides et du bon vouloir on arrive à tout, même aux honneurs. Voilà ce qu’on se dit dans les veillées d’hiver, autour de l’âtre où brûlent en pleurant quelques brindilles de bois vert. Le jeune homme est anxieux ; des rêves d’or bruissent dans sa tête ; on se rappelle ce que racontait le voisin, qui a fait son congé et a tenu garnison à Paris ; il a parlé des femmes élégantes, des voitures sans nombre, des spectacles, des cafés toujours ouverts, des bals où l’on danse toute la nuit, des palais, des belles promenades, des rues interminables, de cette foule, de cette activité, de ce gaspillage. Autrefois c’était une affaire qu’un voyage à Paris ; à pied, le long des routes poudreuses, le sac au dos, il fallait obtenir l’autorisation de coucher dans les granges ; parfois on se louait pour pouvoir faire les étapes suivantes ; on employait un mois, six semaines, quelquefois plus, avant de parvenir jusqu’à la terre promise. Aujourd’hui il n’en est plus ainsi, des chemins de fer