Aller au contenu

Page:Du Camp - Paris, tome 3.djvu/65

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nauséabonde de ces taudis. Au temps de mes voyages sur les bords de la mer Rouge, chez les Arabes Ababdeh du désert, sous la tente des Bédouins de la Cœlé-Syrie, dans les bourgades de l’Asie Mineure, j’ai couché dans bien des lieux horribles, sales et grouillant de vermine ; mais jamais je n’ai rien vu de semblable à ces bouges, aux heures de la nuit. L’imagination des logeurs est inépuisable quand il s’agit de faire trois ou quatre chambres avec une seule, d’installer des refends dans des corridors, d’empiéter sur les paliers ou d’établir des niches, — c’est le vrai mot, — précisément sous les toits, dans des réduits si bas, si resserrés, qu’on ne peut y pénétrer qu’en rampant. Les escaliers descellés, les vitres absentes, les larges fentes qui bâillent aux murailles, donnent à ces masures l’apparence d’une ruine. Ni quinquet ni lumière : on marche à tâtons au milieu d’une lourde atmosphère où se combinent, dans une odeur insupportable, l’humidité des murs, les chandelles éteintes, la lie de vin mal cuvée et la sueur humaine. Sur un matelas d’où la laine s’échappe, mêlée à des copeaux, un paquet de guenilles est roulé dans un coin ; on le pousse, il s’agite, il se lève : c’est un homme, et l’on recule effrayé de voir qu’une créature vivante peut respirer dans cet air empesté.

Ah ! que l’on comprend mieux alors ceux qui, fuyant l’horreur de pareils abris, vont dormir à la belle étoile, au hasard de la pluie qui peut tomber ou de la ronde de police qui surviendra ! Tout n’est pas rose cependant pour ceux qui couchent dans les massifs des Champs-Élysées ou dans les caves des maisons en construction ; la plupart du temps ils vont finir leur nuit au poste. Les plus à plaindre sont ceux qui, sans réflexion ni prévoyance, cherchent un asile sous les arches de pont et y dorment baignés par le courant d’air glacial qui paralyse leurs membres et les envoie bientôt à l’hôpital