Page:Du Camp - Paris, tome 5.djvu/144

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l’Épée. Un passage de saint Augustin lui montra la route qu’il avait à suivre pour sauver ces pauvres âmes qu’on pouvait croire condamnées à l’avance. « Surdus natus litteras, quibus lectis fidem concipiat, discere non potest : Le sourd-muet de naissance ne peut apprendre à lire les livres qui lui feraient concevoir la foi. » Donc, pour croire, il n’est point nécessaire d’entendre, lorsque l’on peut lire, puisque la foi peut pénétrer dans l’âme par les yeux aussi bien que par les oreilles. La voie était tracée : à la mimique, à la dactylologie, il fallait ajouter la lecture et l’écriture, et il n’y avait alors notions si abstraites, mystères si compliqués, que l’on ne pût expliquer et peut-être faire comprendre à un sourd-muet. Cette conception, la plus élevée de toutes pour une âme fervente, devait avoir des conséquences pratiques que l’abbé de l’Épée n’avait sans doute pas entrevues et dont tout ce peuple infirme a profité.

L’abbé n’était point riche. Il avait distribué dans quatre pensionnats ceux qu’il nommait ses enfants, et auxquels il avait réussi à intéresser quelques personnes charitables. Deux fois par semaine, de sept heures du matin à midi, on les lui amenait, au nombre de soixante quinze environ, dans l’appartement qu’il habitait au second étage d’une maison sise rue des Moulins, n° 14 ; c’est là qu’il les instruisait, qu’il leur apprenait à attacher aux mêmes gestes une signification toujours semblable, signification qu’il traduisait par l’écriture, de façon à leur donner un signe écrit correspondant au signe mimé. En un mot, il les douait d’un langage que, sans lui, ils n’auraient peut-être jamais connu.

Les progrès étaient lents, mais déjà remarquables, et cependant nul ne se préoccupait de l’abbé de l’Épée, qui succombait sous le double fardeau de son labeur et de