Page:Du Camp - Paris, tome 5.djvu/162

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faire comprendre dans tous les détails un petit drame à deux personnages.

Les exercices de français qu’on leur impose pour les forcer à émettre leurs idées, leur enseigner à raconter un fait, à écrire une lettre, sont intéressants à parcourir, car ils prouvent combien la plupart de ces pauvres âmes sont arides et dénuées ; c’est d’une stérilité qu’on ne peut que très-difficilement se figurer. J’ai entre les mains plusieurs de ces « compositions » où rien n’est composé : jamais je n’ai vu, même dans les administrations les moins lettrées, des procès-verbaux plus secs. Ce sont des récits de promenade, de voyage, l’emploi d’une journée : la date, l’heure, le fait, rien de plus ; un seul temps de verbe, le prétérit défini : « nous nous levâmes, nous sortîmes, nous jouâmes, nous mangeâmes, nous nous couchâmes. » Trois adverbes reviennent incessamment, d’abord, ensuite, enfin ; on cherche une impression, un mouvement quelconque, une réflexion, une pensée, un éclair, rien ! Dans une seule de ces narrations, je trouve une observation : « le temps paraissait favorable ; » c’est peu de chose, et cela détonne sur l’uniformité générale, comme une couche de vermillon sur une grisaille.

S’ils ont peu d’imagination intellectuelle, ils possèdent, par compensation, une sorte d’imagination musculaire qui semble être pour la plupart une prédominance organique. Il n’y a pas d’exercices corporels, de tours de force et d’adresse qu’ils n’inventent pour satisfaire ce besoin qui, bien dirigé et utilisé, en ferait des gymnastes de premier ordre. Le gymnase de l’institution est grand et bien approprié, mais il est interdit aux élèves, qui ne peuvent s’y rendre que pendant une heure chaque semaine sous la surveillance d’un professeur spécial. Autrefois les cordes lisses, les cordes à nœuds, les perches pendantes, les trapèzes, flottaient en liberté