Page:Du Camp - Paris, tome 5.djvu/169

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cruauté. Le malheureux enfant que l’on condamnait à suivre ces inflexions labiales qui ne sont que la forme extérieure, l’apparence de la parole, revenait malgré lui à son langage naturel, à celui qui naît de son infirmité même, à la mimique, car, avant d’essayer d’articuler, il traduisait en gestes, compréhensibles pour lui, les vocables qu’il avait regardés. On lui infligea alors un martyre réellement barbare : on lui lia les pieds, on lui attacha les mains derrière le dos, et on n’arriva qu’à le dégoûter d’une méthode qui commençait par un supplice. Il y a quarante ans de cela, et il est inutile de nommer le fonctionnaire obtus qui se livrait à des actes pareils.

Quelques sourds-muets parlent, quoique la parole leur soit antipathique et qu’ils lui préfèrent toujours la gesticulation et l’écriture. Je ne sais rien de plus douloureux à entendre : si on les questionne, on peut reconnaître les efforts qu’ils sont obligés de faire avant de répondre, pour traduire la mimique du geste en mimique des lèvres, car pour eux la parole n’est pas autre chose, puisqu’ils ne se rendent pas compte du son qu’ils émettent. Il y en a qui, à force de labeur et de patience, parviennent à réciter une fable : ils ne parlent pas ; quelque chose parle en eux dont ils n’ont pas conscience, quelque chose de guttural, de rauque, d’inflexible. Si la mécanique parvenait à faire parler un automate, il parlerait ainsi.

Est-ce à dire qu’il faut bannir l’articulation et la supprimer de l’enseignement spécial réservé aux sourds muets ? Non pas ; mais il faut l’appliquer avec une extrême réserve et une sagacité prévoyante : elle doit être un complément d’éducation pour le malade qui a entendu et parlé aux premières années de son enfance et pour lequel le phonétisme n’est pas un mystère insondable. Celui-là pourra peut-être s’en servir et y trouver un secours dans quelques rares occasions ; mais essayer