Page:Du Camp - Paris, tome 5.djvu/190

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rents qui ont des enfants aux Jeunes-Aveugles se mettent très-rapidement en correspondance avec eux par ce moyen.

Tous les élèves de l’institution sont frappés de cécité, mais cela ne veut pas dire qu’ils vivent tous dans une nuit absolue ; pour quelques-uns, l’obscurité n’est pas complète : sur les 143 garçons que j’ai trouvés dans l’établissement lorsque je l’ai visité, 6 pouvaient se diriger, 11 parvenaient à distinguer les couleurs, 38 reconnaissaient le jour, 88 étaient fermés à toute perception. Ceux-là sont pour la plupart atteints d’amaurose ; le nerf optique est paralysé. Les autres disent qu’ils ont un « point de vue » ; si faible qu’il soit, ils en tirent vanité ; mais les couches de brouillard qui les enveloppent sont trop épaisses et les rejettent au rang des infirmes. Ceux qui parviennent à déterminer les couleurs se trompent bien souvent : le bleu leur parait noir, le jaune leur paraît blanc, à moins qu’on n’ait soin de placer ces deux tons sur des nuances absolument différentes, telles que le rouge ou le vert. Presque tous du reste ont la prétention de voir les éclairs ; il ne faut point s’y fier, car le plus souvent ils ne les reconnaissent qu’au moment même où le tonnerre éclate.

Ce sont en général les aveugles incomplets qui ont été le plus défigurés par la maladie ; l’opacité de la cornée transparente leur fait de gros yeux blancs, toujours agités, saillants hors des paupières et qui ressemblent à des billes de porcelaine bleuâtre ; quelques-uns ont au milieu de l’iris une large tache laiteuse qui leur donne un horrible regard de hibou effaré. D’autres ont l’orbite vide et les paupières toujours rapprochées ; lorsque celles-ci s’entrouvrent par suite d’une de ces contractions nerveuses de la face auxquelles ils sont sujets, on aperçoit un filet d’argent veiné de rose. Les amaurotiques ont des yeux comme les nôtres : point de défor-