Page:Du Camp - Paris, tome 5.djvu/40

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Les personnes qui ne peuvent retirer leur nantissement sont libres de le « renouveler », au bout d’une année écoulée, en versant les intérêts échus[1]. On ne peut s’imaginer jusqu’où va chez certaines personnes ce qu’on pourrait appeler la manie du renouvellement, manie qui finit par coûter cher. Un parapluie a été renouvelé quarante-sept ans de suite. Il avait sa célébrité, on en parlait dans l’administration ; pendu le long d’un casier, il était du haut en bas revêtu de bulletins qui lui faisaient une égide d’écailles en papier. Un membre du conseil de surveillance le vit, en eut commisération, le dégagea et le renvoya au propriétaire légitime, qui se fâcha tout rouge, et déclara qu’il n’entendait pas qu’on se permit de lui faire l’aumône. Le 25 novembre 1872, j’ai vu vendre un rideau de calicot blanc qui avait été engagé le 5 juin 1823 ; il avait payé d’arrérages et de droits de prisée 35 francs 60 centimes, sept fois sa valeur, car il fut adjugé au prix de 5 francs[2].

  1. Les matelas, oreillers, lits de plume, couvertures de laine et en général les articles sujets à détérioration ne peuvent être renouvelés.
  2. Parfois ces réengagements successifs et prolongés ont pour but de conserver des objets qui ne sont que de pieux souvenirs. Le Siècle du 4 mars 1856 raconte l’anecdote suivante :

    « Nous trouvons dans la correspondance parisienne de l’Émancipation belge le récit d’un trait touchant qui mérite d’être rapporté. Une pauvre jeune fille vint un jour dans un des bureaux du Mont-de-Piété de Paris engager un paquet de hardes sur lequel on lui donna 3 francs. Pendant quinze années consécutives, elle vint payer exactement l’intérêt de cette modique somme, montant à quelques centimes, sans avoir assez pour dégager le paquet. L’administration, frappée du soin que prenait cette jeune fille à conserver ce petit dépôt de linge, alla aux informations sur elle, et apprit que, travaillant sans relâche chez elle, dans un très-pauvre réduit, cette ouvrière en linge, honnête et sage, parvenait à grand-peine à suffire à ses besoins les plus pressants, mais que, malgré ses peines et ses veilles, elle n’avait pu réunir, depuis quinze ans, les 3 fr. qui lui étaient nécessaires pour retirer son précieux petit paquet. Il y avait évidemment dans la conduite de cette femme laborieuse et si sage, quoique belle, un grand courage qui prenait sa source dans de nobles sentiments. On l’appela à l’administration du Mont-de-Piété et on l’engagea à reprendre, sans rétribution, les modestes hardes dont elle avait été si longtemps privée. C’est alors que l’on comprit la belle âme de cette infortunée. Le petit paquet se composait d’un jupon et d’un fichu de