Page:Du Camp - Paris, tome 5.djvu/68

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être en état de signer son propre nom, c’est là une anomalie étrange et particulièrement douloureuse. Chez les autres peuples on ne s’y est pas mépris ; lors de la discussion du Ballot-Bill au parlement anglais, en 1870, M. Lowe a dit avec raison : « Vous demandez le vote universel, moi alors je demande l’instruction obligatoire ; car il faut au moins apprendre à lire à ceux qui demain seront nos maîtres. » Qui ne se souvient de la lettre implacable adressée le 19 août 1870 à un publiciste français par le colonel Fr. von Holstein et datée de Saint-Avold : « Vous avez le suffrage universel, et vos électeurs ne savent pas lire. » — Tout le monde s’en étonne, en effet, excepté nous, qui en mourons.

L’Assemblée nationale siégeant à Bordeaux ratifia le 1er mars 1871 le projet de paix signé le 26 février à Versailles par MM. de Bismarck, Thiers et J. Favre ; c’est donc de cette époque que date la prise de possession officielle de l’Alsace-Lorraine par l’Allemagne ; dès le 18 avril suivant, une ordonnance du gouverneur général y introduisait l’instruction obligatoire[1]. Voilà trois ans que la guerre est terminée, et nulle loi n’a encore été discutée par nos pouvoirs législatifs pour régler cette question vitale. Lorsque le projet de loi viendra devant la Chambre, on peut craindre qu’il ne soit pas accepté sans difficulté, et même que le principe de l’obligation ne soit pas admis, car bien des gens croient encore, comme Richelieu, qu’une nation est d’autant plus facile à gouverner qu’elle est plus ignorante ; nos révolutions successives n’en sont guère la preuve. À voir ce qui se passe dans les pays où l’enseignement obligatoire est pratiqué, on peut cependant reconnaître que l’instruction est aux peuples ce que le

  1. Le budget de l’instruction publique dans l’Alsace-Lorraine, y compris l’université de Strasbourg, a été pour l’année 1873 de 6 562 427 fr. 24 centimes.