Page:Du Camp - Paris, tome 6.djvu/165

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une terre si souvent remuée, qu’il est relativement facile de les atteindre. Le lieu qui leur est réservé est d’un aspect étrange ; les immenses terrains séparés par de petites barrières en bois, piqués de croix noires, disparaissent sous la masse des emblèmes funèbres qui les couvrent. Quoique nul bruit ne s’y agite, cela donne l’idée d’une foule énorme, dont tous les individus seraient enfermés dans un cachot cellulaire. Là on voit bien la puissance de la mort, et l’on comprend que sa force de production est incessante. On entend tinter une cloche, c’est le signal qu’un mort vient prendre possession de sa demeure ; le corbillard, longeant les avenues, s’approche le plus près possible du terrain désigné ; le corps est descendu, porté jusqu’au bord de la tranchée et remis aux fossoyeurs ; l’aumônier des dernières prières, dont l’institution démocratique et généreuse, remontant au 21 mars 1852, est due à M. Berger, vient réciter les paroles consacrées et jeter l’eau bénite ; les assistants, le chapeau à la main, très-recueillis, s’associent à la cérémonie lugubre ; les femmes, qui depuis quelques années suivent les convois, surtout dans les classes populaires, restent à l’écart, pleurant et tenant quelques couronnes d’immortelles. La première pelletée de terre jetée par le prêtre retentit sur le cercueil sonore ; la fosse est comblée, et chacun s’éloigne.

Le prêtre n’apparaît pas toujours aux inhumations ; et, pour éviter tout scandale, il est bien recommandé aux aumôniers des dernières prières de ne venir que s’ils sont appelés. Quelques-uns, mus par un zèle trop ardent, se sont trouvés en présence de « libres penseurs », et des paroles regrettables ont été échangées. On fait quelque bruit, depuis quelque temps, autour de ces enterrements où la libre pensée s’affirme par un appel au néant. Ce mode de manifestation politique