Page:Du Camp - Paris, tome 6.djvu/376

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gories distinctes qui se côtoient plus qu’elles ne se mêlent, et n’agissent d’instinct avec ensemble que dans certaines circonstances politiques, telles que l’exercice du droit électoral. En tête, et formant une aristocratie très-respectable, se trouve le groupe de ce que l’on peut appeler les bons ouvriers, groupe très-nombreux, empressé au travail, économe et de mœurs excellentes. L’esprit de parti ne les égare pas ; mais l’esprit de camaraderie, aidé du respect humain, les entraîne, et, lors des chômages imposés par les chefs grévistes, ils s’abstiennent de paraître à l’atelier ; ces hommes, qui sont le noyau d’où naît la bourgeoisie, qui d’ouvriers deviennent contre-maîtres, puis patrons, sont l’honneur même du peuple parisien ; ils ont des vertus sérieuses et sont à la société ce que les sous-officiers sont à l’armée : une réserve où l’on peut recruter des éléments de force excellents. Mais, en temps de troubles, ils ne doivent inspirer ni crainte ni confiance ; ils ne prennent pas part à l’insurrection, ils ne luttent pas contre elle : ils restent neutres.

À l’opposé de ce monde probe et laborieux, grouille une population très-dispersée, particulièrement dangereuse, et que les agents de la sûreté désignent sous le nom générique de gouappe ; elle se compose de vagabonds, de voleurs, de repris de justice, de surveillés en rupture de ban, de souteneurs de filles de bas étage ; je la connais. Lorsque j’ai eu à étudier la mendicité, l’indigence menteuse qui vit aux dépens de l’Assistance publique, la cour d’assises, les détenus, les malfaiteurs, les prostituées, j’ai plongé jusque par-dessous les bas-fonds ; j’en suis remonté avec la pâleur de Dante sur le front, non pas désespéré de l’avenir, mais singulièrement ému. Il y a là, en effet, dans les substructions souterraines de l’édifice social, une armée prête à tout. On peut l’évaluer : elle compte environ 45 000 hommes.