Page:Du Camp - Paris, tome 6.djvu/50

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4 575 000 litres au bout de l’année. — Produit financier, un gain de plusieurs millions pour les cabaretiers, cafetiers et autres industriels ; — produit moral, abrutissement, violence, folie pour la population[1].

Le résultat de la surtaxe sur les alcools s’est immédiatement fait sentir : l’apport a diminué dans des proportions extraordinaires ; en 1871, 168 597 hectolitres entrent à Paris, qui n’en reçoit que 60 148 en 1872. Toutefois une sorte de compensation, — très-faible à la vérité, — s’établit instantanément, et dénonce la fraude : 6 714 hectolitres d’alcool dénaturé de première classe sont inscrits en 1872, et les relevés d’octroi n’en accusent que 1 525 en 1871. Or l’alcool dénaturé, c’est-à-dire l’alcool qui contient trois ou quatre dixièmes d’huile essentielle, térébenthine, vernis, méthylène (esprit de bois), n’est frappé que d’un droit de 7 francs par hectolitre, car on admet qu’il ne peut être employé qu’à des usages exclusivement industriels. Mais le diable est bien malin lorsque l’intérêt des commerçants est en jeu. Quelques gouttes d’eau dans une barrique d’alcool dénaturé font remonter l’huile essentielle à la surface, on écrème, ou, pour mieux dire, on écume, et la liqueur corrosive qui reste au fond du tonneau, désinfectée tant bien que mal, devient du bitter, de l’absinthe, du genièvre. Et voilà comment on introduit des liqueurs dans Paris pour 7 francs, au lieu de 328 francs 25 cent.

  1. Je ne parle ici que de l’absinthe venue de province ; pour éviter de payer les droits, on la fabrique aujourd’hui à Paris en quantité considérable ; l’hectolitre n’en revient, — toutes taxes acquittées, — qu’à 291 francs, soit 2 fr. 91 cent, le litre ; dans ce cas, qui est presque général, le bénéfice du débitant dépasse toute mesure. L’action directe de l’absinthe sur le systeme cérébro-spinal est aujourd’hui démontrée. Les belles expériences que M. Magnan, médecin à l’asile Sainte-Anne, a faites en présence de M. Claude Bernard, semblent concluantes. L’alcool injecté dans les veines d’un chien donne à celui-ci un accès de stupeur et une ivresse caractérisée qui n’a qu’une durée relative ; l’essence aqueuse d’absinthe, administrée de la même façon, produit chez l’animal des convulsions graves et des attaques d’épilepsie spontanée.