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de s’emparer de moi, mort ou vif. » C’était un pauvre homme ; il a laissé imprimer et répéter qu’il avait été blessé le 4 décembre, en défendant une barricade ; mieux que personne, j’ai su que c’était au moins une erreur.

Quand je l’eus fait dîner, quand je l’eus installé dans sa chambre à coucher, je lui dis de dormir tranquille, que personne ne l’inquiéterait ; que nos domestiques, qui m’avaient vu naître, étaient d’une sûreté à toute épreuve, et que, du reste, je me croyais en mesure de lui procurer, dès le lendemain, un passeport diplomatique. Je me rappelais Oury et la promesse que nous avions échangée. Le samedi 6 décembre, à huit heures du matin, j’étais au ministère des Affaires étrangères. Oury était rayonnant et ne craignait plus d’être fusillé. Il me reçut avec cordialité et me demanda le motif de ma visite. Je le lui expliquai. Il devint important : « C’est fort grave ; à qui destinez-vous ce passeport ? » Benoîtement, je nommai Madier de Montjau. Oury fit un saut de carpe : « Comment avez-vous pu recueillir un pareil homme, un jacobin, un disciple de Robespierre, un député de la Montagne ! qui, s’il le pouvait, nous ferait tous guillotiner. Je ne puis faciliter le départ d’un tel énergumène, le gouvernement peut avoir de bonnes raisons de mettre la main sur lui. Je serais coupable, je manquerais au devoir professionnel si j’aidais à soustraire ce conspirateur à l’action des lois ; tout ce que je puis faire, c’est de vous garder le secret. » Je me levai et sortis sans saluer.

J’étais déconvenu ; Madier de Montjau le fut aussi ; il était chez moi, il y resta, ce n’était que correct et je ne désespérais pas de lui procurer les papiers qui lui permettraient de franchir la frontière. Le dimanche 7 décembre, à onze heures du soir, une estafette du ministère de l’Intérieur m’apporta une dépêche, dont je donnai reçu. C’était un billet que je copie sur l’original, que l’on retrouvera dans mes papiers : « Vous recevez des gens barbus et des gens sans barbe ; les uns s’en vont, les autres restent ; ne nous causez pas d’embarras et venez me voir. A. M. » Je reconnus l’écriture de Morny. Je montrai le billet à Madier de Montjau, qui voulait décamper sans plus tarder. J’eus quelque peine à lui faire comprendre que ce billet était une sorte de sauf-conduit, valable au moins jusqu’au moment où j’aurais vu Morny.

Le lendemain, j’étais chez celui-ci ; il me gronda : « De