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Le 17 octobre 1854, on fit une tentative sur la ville, tentative pitoyable et qu’il eût été sage de s’épargner. Nos pièces de campagne sans portée, massées sur un seul point, furent rapidement éteintes par l’artillerie de la place, qui faisait converger son feu sur nos batteries. Ce fut misérable et les généraux se sentirent découragés. Le 19, un conseil de guerre fut tenu, sous la présidence de Canrobert, qui avait pris le commandement en chef, après la mort du maréchal de Saint-Arnaud. À une question de Lord Raglan, il fut répondu qu’en attendant les parcs de siège que l’on allait se hâter de faire venir de France, on continuerait à tirailler contre la place. Lord Raglan recommanda d’éparpiller les feux, au lieu de les concentrer, et ajouta : « Vous devriez commencer vos travaux d’approche, en les dirigeant vers la tour Malakoff, car, tôt ou tard, c’est là que vous serez obligés de porter votre attaque définitive. » Le fait est consigné dans les procès-verbaux des conseils de guerre, et jamais, cependant, les Anglais ne s’en sont vantés.

On ne crut pas devoir se rallier à l’opinion de Lord Raglan, et ce fut seulement cinq ou six mois après, lorsque l’on vit les Russes réunir toutes leurs forces de résistance autour de Malakoff, que l’on comprit que la clef de la position était là. Ceci m’a été raconté par un de mes proches parents, le général Achille de Susleau de Malroy, qui, pendant la campagne de Crimée, était lieutenant-colonel d’état-major, détaché près de Lord Raglan ou du général Simson. Ce fait se trouve confirmé dans un mémoire manuscrit du général Trochu sur la prise de Sébastopol. Je possède une copie, annotée par le général de Malroy, de ce mémoire, qui est d’un haut intérêt historique. On la trouvera dans les papiers que j’ai déposés à la bibliothèque de l’Institut.

Le général Bosquet, dont le mouvement tournant opéré sur la gauche des Russes avait déterminé la victoire de l’Alma, fut chargé de préparer le grand assaut qui devait nous rendre maîtres de Sébastopol. « C’était, dit Trochu dans son mémoire, un incomparable préparateur. » Le résultat fut tel qu’on pouvait l’espérer, et la journée du 8 septembre 1855 est bonne pour les fastes militaires de la France. L’activité, la précision de Bosquet étaient d’autant plus extraordinaires que dans les marches, dans les campements, dans les jours de bataille aussi bien que dans les jours de repos, il était suivi de deux ou trois cantinières, comme un sultan est