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Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 1.djvu/157

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bonnet, passé onze heures du soir, sur la voie publique ; montrez votre brême. » La brême, c’est la carte nominative que la préfecture de Police délivre aux filles soumises. Cochonnette et Cornichonnette, entourées d’un groupe qui ricanait, face à face avec les agents, restaient interdites et balbutiaient. Un des agents prit Cochonnette par le bras et dit : « Vous vous expliquerez au poste. » À ce moment, le mari et ses amis, qui avaient tout vu de la fenêtre, accouraient. On entra au café Bignon, où l’explication fut courte. Le lendemain, le préfet de Police, Piétri — qui m’a raconté l’historiette — remit à l’Empereur le rapport de cette « affaire ». L’Empereur, mécontent, fit appeler l’Impératrice et lui communiqua le rapport. L’Impératrice éclata de rire et dit : « Qu’elle est drôle ; il n’y a qu’elle pour avoir des idées pareilles. »

Une des familières préférées de l’Impératrice fut la princesse de Metternich[1]. Bonne musicienne, admiratrice de Wagner, recherchée dans ses toilettes, hautaine d’allures malgré sa tenue parfois abandonnée, elle avait une laideur jalouse de toute beauté. Elle savait dissimuler son dépit, lorsque son intérêt l’exigeait, mais elle n’était point en reste de perfidie, quand elle pouvait mettre les autres en avant et rester dans la coulisse. Elle fut cruelle pour une de ses compatriotes et peu s’en fallut que sa méchanceté n’entraînât mort d’homme.

En 1866, le marquis de Chasseloup-Laubat, ministre de la Marine, offrit, dans l’hôtel bâti par Gabriel, un bal costumé à l’Empereur et à l’Impératrice ; les honneurs furent faits par Mme de Chasseloup, qui avait une beauté incomparable de douceur, de grâce et de finesse. Le bal, réglé par Gablin, chef du matériel, et par les jeunes officiers de marine attachés au cabinet du ministre, fut d’une richesse extraordinaire[2]. La

  1. La princesse de Metternich, née princesse Pauline Sandor, était la femme du prince Richard de Metternich, fils de l’illustre homme d’État, et ambassadeur d’Autriche en France de 1860 à 1871. (N. d. É.)
  2. L’Empereur devant assister à ce bal, les invitations n’étaient distribuées qu’à bon escient. La princesse de Metternich demanda deux invitations en blanc, laissant comprendre que c’était pour deux importants personnages. On crut à l’arrivée de quelque archiduc d’Autriche voyageant incognito et, sur l’ordre du ministre, on délivra les cartes d’invitation. L’une des invitations fut donnée par la Metternich au costumier à la mode Worth, qui vint en domino masqué, intrigua ses clientes et leur reprocha de ne point payer leurs dettes. Le marquis de Chasseloup-Laubat fut indigné de cette inconvenance.