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Antonine Pélissier ; d’Aumale s’est accointé avec Léonide Leblanc, une fille et rien de plus ; Joinville promène Madeleine Brohan, qui est de la Comédie-Française. Sur la terrasse près de l’orchestre, on les suit, on se les montre et on en rit. Il serait si facile de fermer sa porte et de respecter le public, en se respectant soi-même. »

Tout ceci peut s’adresser au prince Napoléon, qui ne ferma point sa porte et ne se respecta guère. Son mariage avec la princesse Clotilde, fille de Victor-Emmanuel issue de la race de Savoie, aurait dû modifier ses habitudes et ne les modifia pas. La princesse n’était point jolie, mais elle était douce, d’une vertu de premier titre et dévouée à son mari, qu’elle aimait. Blanche et lourde, avec de grosses lèvres et le regard perdu dans la rêverie, elle était d’une dévotion excessive et apercevait au-delà de l’existence la certitude d’une éternité de délices, qui la poussait non seulement à des pratiques minutieuses, mais à une charité large, intelligente, à une indulgence inépuisable, à une bonté toujours prête au bien. C’est la plus sainte femme que j’aie rencontrée. L’Impératrice lui reprochait de ne pas se décolleter suffisamment, et le prince Napoléon disait : « Elle aspire à être béatifiée. » Très soumise néanmoins, ne faisant jamais entendre une plainte, ne se permettant pas même un reproche, elle admirait l’intelligence du prince et restait charmée de son éloquence lorsque, le soir, au Palais-Royal, il prenait la parole dans l’intimité des causeries qu’il animait si bien.

Une telle femme, mère de beaux enfants, respectée jusqu’à la gêne par ses entours, par l’Empereur, par l’Impératrice, par la princesse Mathilde, adorée des gens de sa maison et des malheureux qu’elle secourait sans relâche, ne tolérant point la médisance chez elle, d’une éducation parfaite, et toujours grande dame, même à son insu, une telle femme aurait dû, par le seul fait de son exemple, ramener le prince Napoléon à la pratique des devoirs qu’il semblait prendre à tâche de négliger. Il n’en fut rien ; le mari resta ce qu’il aimait à être, un célibataire.

Publiquement, sans plus de vergogne qu’un bohème, il vécut avec des femmes de rien, avec Anna Deslions, avec Cora Pearl, avec Caroline Letessier, avec Constance et avec un tas d’autres créatures dont je ne sais même pas le nom ; il se montra dans les petits théâtres en compagnie de Mme Arnould-Plessy, une ruine de la Comédie-Française, en société