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la tribune et un ministère pris en partie dans le Corps législatif.

Morny approuvait, mais ne s’engageait pas ; il savait que, malgré cette défense de certains principes, malgré ces restrictions, Ollivier serait contraint de rendre les services que l’on attendait de lui, le jour où il entrerait dans la combinaison projetée. Cette combinaison, que l’on avait eu tant de peine à faire accepter à l’Empereur, était sur le point d’aboutir, lorsque la mort, avec laquelle on ne compte jamais assez, mit fin au projet, en emportant brusquement l’auteur. Le duc de Morny mourut en 1865. Il est probable que, sans ce départ prématuré, — il n’avait que cinquante-quatre ans, — la réforme libérale inaugurée en 1870 aurait été essayée, d’une façon moins complète, dès 1866, avec Ollivier comme collaborateur. Qu’en serait-il advenu ? Je ne suis pas assez grand clerc pour le deviner.

Morny a été une des figures les plus intéressantes, presque un personnage principal du Second Empire, qu’il a aidé, plus que nul autre, à sortir du palais de la Présidence. Je l’ai connu, et ce n’est pas un hors-d’œuvre d’en parler à propos du ministère du 2 janvier, car il l’avait non seulement prévu, mais préparé de longue main, et, s’il l’eût dirigé, bien des fautes, que le résultat a rendues criminelles, eussent été évitées. Lorsque je l’ai rencontré pour la première fois, dans le salon de Mme Gabriel Delessert, il était encore jeune, entre sa trentième et sa quarantième année ; il était charmant. Sa distinction était rare, son aisance admirable, sa grâce parfaite. Bien pris dans sa taille, qui n’était pas trop élevée, blond, prématurément chauve, avec de jolis yeux bleus et un sourire avenant, il traversa légèrement la vie, en enfant gâté de la fortune, « heureux comme un bâtard », me disait la grande-duchesse Marie de Russie en le regardant passer.

Il était le fils de la reine Hortense et du comte de Flahaut[1],

  1. Je trouve dans l’Histoire générale des Émigrés, par H. Forneron, un renseignement intéressant sur l’origine du comte de Flahaut : « Une autre femme à bel esprit trônait en même temps à Hambourg : Adélaïde Filleul, veuve du vieux Flahaut. Elle avait déjà écrit son roman d’Adèle de Sénanges, mais elle était dans la misère, avec son fils, Auguste, le futur aide de camp du roi Louis Bonaparte. La mère Filleul avait été une des gardiennes des filles du Parc aux Cerfs ; c’était assez pour permettre à Adélaïde de se dire fille de Louis XV ; Adélaïde était une femme ardente qu’avait adorée, que haïssait Talleyrand, et dont tomba épris un frêle Portugais, le baron de Souza ; il l’épousa. » (Édit. in-16, 1884, t. I, p. 382-383.) (Note de l’Auteur.) Voir page 148, n. 1.