Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 1.djvu/268

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

façon à rejeter les torts sur la France et à mettre le droit de son côté ; ce n’était qu’une apparence, mais elle équivalait à la réalité et le monde en fut dupe.

Si, comme on vient de le voir, une sorte d’instabilité dans nos relations avec Berlin semblait faire prévoir de redoutables événements, la situation, non pas de la France, mais de Paris, n’était point sans offrir des indices d’un mécontentement entretenu par la faction des irréconciliables. Le ton de certains journaux était devenu excessif ; Le Rappel, fondé par Victor Hugo, Le Réveil, fondé par Delescluze, La Marseillaise, fondée par Henri de Rochefort, avaient dépassé toute mesure dès 1869 et s’étaient donné belle carrière sous le ministère Chasseloup-Laubat, qui n’avait toléré aucune poursuite contre la presse. Gustave Maroteau, un futur journaliste de la Commune, avait ressuscité Le Père Duchêne ; j’en retrouve dans mes paperasses le no 5, 7 décembre 1869, et j’y lis deux articles immondes intitulés Pauvre Vieux et Elle, c’est-à-dire l’Empereur et l’Impératrice ; ce n’est pas à citer, même en latin.

On s’apercevait que la liberté concédée par l’Empire ne servait qu’à le combattre et à essayer de le porter bas. Il est, du reste, à remarquer qu’en France les gouvernements qui s’établissent sur la liberté et la reprennent périssent ; et que ceux qui s’établissent sur l’autorité et l’abandonnent périssent également ; on en peut conclure que, depuis un siècle, notre pays cherche sa forme gouvernementale et ne l’a point trouvée. Pour s’en convaincre, il suffit de compter les différentes phases — toujours définitives, mais toujours transitoires — par lesquelles notre pays a passé depuis 1789.

L’agitation de certains esprits mal satisfaits, inquiets et novateurs, avait éveillé quelques velléités de rumeurs dans la rue, qui avait pris sous l’Empire autoritaire une attitude apaisée qu’on ne lui connaissait guère. Les premières manifestations publiques, fort peu graves à la vérité et assez semblables à un tumulte d’écoliers, se produisirent à propos des élections complémentaires de 1869. La mode s’y était mise et l’on allait voir les groupes se former sur le boulevard Montmartre, sous les fenêtres de je ne sais plus quel journal. On chantait, on criait, on se bousculait ; la foule était considérable, en majeure partie composée de curieux ; il en venait des villes voisines et les chemins de fer amenaient des badauds qui sottement allaient s’exposer aux bourrades de la police.