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Lorsque la foule, devenue trop compacte, interrompait la circulation, une ou deux brigades de sergents de ville gourmaient les braillards et les dispersaient. Cela fit naître une industrie nouvelle ; des gamins ingénieux ramassaient les faux chignons que les femmes avaient perdus dans leur fuite et les allaient vendre à quelques perruquiers des faubourgs. Comme dans la bagarre on renversait des cabanes de marchandes de journaux, ces brouhahas furent appelés : l’émeute des kiosques.

Une seule fois, dans les premiers jours du mois de juin 1869, si ma mémoire n’est pas en défaut, les choses semblèrent prendre une tournure un peu plus grave. Le maréchal Niel vivait encore et était ministre de la Guerre. Déjà souffrant, irrité de tout ce bruit provocateur dont l’écho lui arrivait par les rapports de ses agents, agacé de la mansuétude de la police qui, par ordre, ne devait intervenir sérieusement qu’en cas de conflit, il voulut en finir une fois pour toutes et se rendit aux Tuileries. Il dit à l’Empereur : « Je vais faire sortir les troupes et envoyer quelques régiments de cavalerie balayer les boulevards ; il faut mettre ordre à ces perturbations quotidiennes et ne plus tolérer que l’on se joue ainsi de l’autorité de Votre Majesté. » Napoléon III, assez indifférent en somme à ce qui se passait, lui répondit : « Agissez comme il vous conviendra, mais ne faites rien sans avoir prévenu Piétri. » Le maréchal Niel donna ordre à l’aide de camp qui l’avait accompagné d’aller avertir le préfet de Police et de se rendre immédiatement après aux casernes du quai d’Orsay et de l’École militaire, pour mettre la cavalerie en mouvement et l’assembler sur la place de la Concorde.

Piétri — de qui je tiens le fait — écouta la communication qui lui était transmise et dit à l’aide de camp : « Je me charge de tout ; n’allez pas aux casernes. » L’aide de camp regimba ; il ne relevait que du ministre de la Guerre et devait exécuter les ordres qu’il en avait reçus. Piétri, tout en souriant, lui répliqua : « Je vous mets en état d’arrestation et je vous emmène avec moi aux Tuileries. » Dix minutes après, Piétri et l’officier étaient dans le cabinet de l’Empereur, où le maréchal Niel se trouvait encore. Piétri fut très net : « J’ai empêché l’aide de camp de faire sonner le boute-selle. À quoi bon des soldats ? Il n’y a même pas d’émeute ; il n’y a que des nigauds, des désœuvrés qui font du bruit ; mes sergents de ville et la garde municipale suffisent à réprimer tout