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nationale de 1848, avait voté contre la réduction de la taxe du sel et pour l’abolition de l’impôt sur les boissons.

Jules Favre a dit que l’idée d’aller trouver Bismarck et d’entrer en négociations avec lui était une idée exclusivement personnelle, qu’il avait mise à exécution sans consulter le Gouvernement de la Défense nationale ; c’est d’une bonne âme, mais je n’en crois rien et je suis, au contraire, persuadé qu’il est parti muni de pleins pouvoirs pour traiter, s’il y avait lieu[1]. Bismarck fit la sourde oreille aux premières propositions qui lui furent adressées. Il estimait que l’on avait montré peu d’empressement, car le roi de Prusse et lui étaient restés dix jours à Reims à attendre les plénipotentiaires français, qui n’étaient point venus. Il eût accepté de recevoir tout négociateur qui serait arrivé d’emblée, porteur de propositions, mais il regimbait à accueillir l’homme qui se présentait sous le patronage d’une tierce puissance. Il ignorait moins que personne que l’Europe s’était désintéressée de nous ; depuis le 4 Septembre, il se savait maître de la situation et il lui répugnait d’accepter une sorte d’ingérence étrangère. Or Jules Favre, invoquant la lettre du général Fleury, avait sollicité les bons offices de l’ambassade de Russie, qui n’avait pas cru devoir se récuser, ne serait-ce que dans l’espoir d’éviter l’effusion du sang. Le général prince Pierre de Wittgenstein, attaché militaire russe à Paris, fut chargé de cette négociation, dans laquelle l’influence de la Russie ne fut que courtoise et qui n’aurait peut-être pas abouti, si le roi de Prusse n’avait déclaré qu’il était de son devoir d’écouter toute parole de paix, quelle qu’en fût l’origine ou l’intermédiaire. Accompagné du prince de Wittgenstein, Jules Favre sortit donc de Paris, au moment où l’armée allemande s’en rapprochait pour former cette ceinture d’investissement que rien n’a pu rompre.

J’ai connu Pierre de Wittgenstein ; j’ai été son partenaire de chasse à Offenbourg, où j’étais en déplacement à la fin du mois de novembre 1871. Je savais que Bismarck lui avait raconté l’entrevue de Ferrières, la vraie, celle qui, sans s’éloigner de l’exposé fait dans les dépêches diplomatiques,

  1. Si l’initiative eût été personnelle, si l’intention eût été secrète, L’Électeur libre, journal rédigé par Arthur Picard, frère d’Ernest Picard, n’eût point annoncé le voyage de Jules Favre vers le quartier général allemand, dès le 18 septembre, c’est-à-dire le lendemain du départ.