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avec ses conséquences ; le groupe des républicains voulait la république, avec les réformes qu’elle peut comporter. Entre les deux, somnolait la masse indécise et molle des indifférents prêts à se rallier à celui qui deviendrait le maître. Chacun de ces groupes avait adopté un homme, auquel il réservait le pouvoir, sinon la dictature, et il faut reconnaître, cette fois, que ces hommes avaient une valeur propre et un passé qui paraissait un gage d’avenir.

Jules Grévy ayant été élu président de la République pour sept ans, le 30 janvier 1879, on devait pourvoir à son remplacement le 30 janvier 1886. Les deux candidats réservés par le parti conservateur et par le parti républicain étaient le général Chanzy et Gambetta. L’un et l’autre symbolisaient nettement les idées que chacune des fractions de l’opinion voulait faire prévaloir. Ce n’était un mystère pour personne qu’à l’heure de l’élection présidentielle la lutte aurait lieu entre le dictateur qui avait organisé la résistance en province et le général dont l’habile ténacité avait sauvé l’honneur de nos armes. Tous deux avaient des partisans convaincus, très ardents pour Chanzy, fanatiques pour Gambetta, et décidés à triompher au jour du scrutin. Cette victoire, on l’escomptait d’avance, et, quoique l’héritage de Jules Grévy ne dût être ouvert que dans quelques années, on en parlait déjà, ainsi que d’un fait accompli. Cette fois encore, comme toujours, on avait oublié que le dramaturge par excellence, la mort, intervient au moment où l’on y pense le moins et renverse toute combinaison par un dénouement dont le monde reste effaré.

Gambetta avait acheté à Ville-d’Avray « les Jardies », petite propriété où Balzac avait jadis fait tant de rêves de fortune et tant de beaux romans. C’était fort modeste, presque pauvret, quelque chose comme la maison d’un maraîcher enrichi. Gambetta s’y réfugiait volontiers et, au courant du mois de décembre 1882, pendant les vacances du Corps législatif, il y était installé avec une dame Léonie Léon, qui était sa maîtresse.

Sur les causes qui ont amené la mort de Gambetta, une légende est faite, qu’il sera impossible de détruire, quoiqu’elle soit fausse. On dit que, pendant une discussion, Léonie Léon s’arma d’un revolver et tira sur Gambetta, qui eut la main traversée en voulant détourner le coup dont il était menacé. Selon une autre version, Gambetta se serait involontairement blessé