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LE VOYAGEUR.

prends que, dans les Rayons et les Ombres, Hugo se soit écrié :

… Oh ! si Gautier me prêtait son crayon !

Ses idées préconçues, nées de rêveries romantiques sur l’Espagne, n’ont point obscurci son jugement et bien souvent se sont évanouies devant la réalité ; son enthousiasme est sérieux, mais sa bonne foi est plus sérieuse encore et rien ne la déconcerte. De même qu’il exprime sans scrupule son admiration, c’est sans fausse honte qu’il note ses déceptions ; elles sont nombreuses : il ne retrouve pas chez les femmes le type espagnol : la manola de Madrid « n’a plus son costume si hardi et si pittoresque ; l’ignoble indienne a remplacé les jupes de couleurs éclatantes brodées de ramages exorbitants » ; la jalousie n’existe guère en amour, quoi qu’en aient chanté les romances, quoi qu’en aient dit les jeunes premiers. « Le Musée d’artillerie de Paris est incomparablement plus riche et plus complet que l’Armeria de Madrid » ; il n’est pas jusqu’à Grenade dont « l’aspect général trompe beaucoup les prévisions que l’on avait pu s’en former ». Au cours de son récit, il remet toute chose au point et par la véracité de sa parole détruit plus d’une légende que l’on acceptait, sur la foi des poètes, des dramaturges et des voyageurs sans véracité.

Jamais peut-être, plus que dans ce Voyage en Espagne, il n’a laissé voir combien lui pesait la civilisation dans laquelle le hasard l’avait fait naître,