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LE CRITIQUE.

beau vers dans un poète méconnu ; il me semble que sa pauvre ombre doit être consolée et se réjouir de voir sa pensée enfin comprise ; c’est une réhabilitation que je fais, c’est une justice que je rends ; et si quelquefois mes éloges pour quelques poètes obscurs peuvent paraître exagérés à certains de mes lecteurs, qu’ils se souviennent que je les loue pour tous ceux qui les ont injuriés outre mesure, et que les mépris immérités provoquent et justifient les panégyriques excessifs. » Les éloges que Gautier distribue au cours de ses études sur les Grotesques, n’ont rien qui nous choque ; ce qui prouve peut-être que les poètes étudiés par lui sont plus connus de nos jours qu’aux environs de 1834, où bruissait encore l’écho des applaudissements prodigués à Mme Dufresnoy, à Luce de Lancival et où Béranger — le Tyrtée moderne, comme l’on disait — passait pour le plus grand poète qui eût jamais honoré une nation.

Ce qui frappe dans ce livre, c’est sa modération, qui paraît presque extraordinaire lorsque l’on se reporte à ces années de luttes où les romantiques et les classiques s’injuriaient à plume que veux-tu, en se prenant à la perruque et à la barbiche. On dirait que Gautier est déjà en possession d’une sorte de sérénité supérieure qui lui permet de s’abstraire des passions transitoires pour mieux comprendre et signaler le beau, d’où qu’il vienne et là où il le découvre. Le style est net, d’une correction déjà irréprochable, sans rien d’alambiqué, comme celui