Page:Du Deffand - Correspondance complète de Mme Du Deffand avec ses amis, tome 1.djvu/275

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à craindre ni les incursions du bel esprit, ni les entreprises conjugales. Prenez-y garde, au moins, les eaux de Forges sont spécifiques, et ce serait bien le diable d’être allé à Forges pour une grosseur, et d’en rapporter deux.

Je vis hier madame de Mirepoix, qui arriva dans la loge où j’étais, avec le chevalier de Brancas. Elle me demanda si elle aurait encore le temps d’aller à Forges, et je lui représentai qu’elle mettrait la charrue devant les bœufs. Son mari n’est pas encore, parti, et elle se flatte qu’il ne partira point. J’eus hier à souper tous les Maurepas présents et à venir ; car je ne crois pas qu’il en survienne : des Pierrots, d’Aumont, Pont de Veyle, etc. Le d’Argenson y vint, qui fut caustique, faute d’appétit. Cela se passa d’ailleurs assez bien. L’esturgeon était gâté, le souper assez médiocre, le temps parfait ; mais les dames, qui sont toutes Hamadryades, n’osant pas se commettre à se promener dans le jardin, qui était charmant. Je vous avoue que j’aurais bien troqué tout cela contre vous toute seule. On regorgea de politique dans des tête-à-tête, et on ne dit que ce qu’on a dit cent fois. Voilà pourtant ce que l’on appelle le monde.

M. de Cereste a bien ri à l’article de M. du Deffand. Je meurs d’impatience de savoir ce qui en est ; mais je n’ose m’en flatter, et puis, qu’on vienne trouver les rencontres de comédies hors du vraisemblable ! Si cela était pourtant, qu’en feriez-vous ? Je m’imagine qu’il prendrait son parti et qu’il ferait une troisième fugue[1]. C’est pourtant une plaisante destinée que d’avoir un mari et un amant qu’on retrouve comme cela à tout moment, et que l’on quitte de même ! N’avez-vous pas quelque pressentiment sur son compte comme sur le mien ? Moi, c’est Momus fabuliste ; lui, ce doit être quelque opéra de La Coste, ou quelque tragédie de Pellegrin.

Il arrive un grand chagrin à la petite Forcalquier : toutes ses emplettes étaient faites pour partir pour Versailles, et ce devait être aujourd’hui, et justement, la vieille d’Antin se meurt ; et voilà la présentation différée de trois mois. On m’a dit que le Forcalquier commençait à trouver que l’on parlait trop d’italien, et qu’il y avait eu de l’aigreur.

Vous avez donc enfin trouvé votre maître dans le genre du naturel, ou, pour mieux-dire, on a contrefait votre édition. Je ne vois pas que cela soit embarrassant le moins du monde : vous n’avez qu’à faire comme le maître à danser de mademoiselle de

  1. La seconde est racontée par mademoiselle Aïssé. Lettres, p. 189 à 191. (L.)