Page:Du Deffand - Correspondance complète de Mme Du Deffand avec ses amis, tome 1.djvu/278

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sur-le-champ la réponse que je vous ai envoyée ; mais comme je me défie de mon premier mouvement, je m’en suis rapportée à vous : mais ne trouvez-vous pas cette plaisanterie d’un esprit morfondu ? Est-ce comme cela qu’on écrit à ses amis, quand on doit avoir quelque inquiétude d’eux et qu’on y prend intérêt ? Et puis est-il bien d’accabler de ridicule une femme avec qui je suis obligé de vivre ? Encore si c’était chacun séparément qui m’eût écrit les mêmes choses ! mais c’est une assemblée en forme, où chacun place son épipramme. Enfin, je crois bien que ma lettre est trop forte, et que vous ne l’aurez pas envoyée ; mais je veux cependant qu’ils sachent que je ne suis pas contente d’eux.


Ce dimanche, à sept heures du soir.

Ma lettre a été interrompue par notre compagnie de diner ; nous avions six convives : voulez-vous savoir qui ? M. et madame la présidente de Bancour, le chevalier de Sommery, M. Leroy, mademoiselle Desmazy, madame de Tavannes. Nous leur avons fait fort bonne chère ; après quoi j’ai joué au quadrille, ensuite j’ai été me promener dans la forêt en carrosse ; on est à chaque pas en danger de la vie, je n’y retournerai plus ; ensuite je me suis promenée à pied aux Capucins : toutes les deux promenades avec madame de Tavannes et madame de Bancour, qui sont les seules à qui l’on puisse parler.

Madame de Pecquigny va tous les jours à cheval avec mademoiselle Desmazy, qui est une espèce de Cent-Suisse de soixante ans. Madame de Bancour a trente ans, elle n’est pas vilaine ; elle est très-douce et très-polie, et ce n’est pas sa faute de n’être pas plus amusante ; c’est faute d’avoir rien vu : car elle a du bon sens, n’a nulle prétention et est fort naturelle ; son ton de voix est doux, naïf et même un peu niais dans le goût de Jeliot[1] ; si elle avait vécu dans le monde, elle serait aimable : je lui fais conter sa vie ; elle est occupée de ses devoirs, sans austérité ni ostentation ; si elle ne m’ennuyait pas, elle me plairait assez.

Madame de Tavannes n’est pas bête ; elle a plus l’air du monde, et sent sa fille de condition elle me conte ses regrets de la mort de son abbesse, la peur qu’elle a de madame de Mont-

  1. Pierre Jélyotte, célèbre chanteur français, né près de Toulouse en 1711, mort a Paris en 1752. (L.)