Page:Du Flot - Les mœurs du tigre, récit de chasse, 1886.djvu/28

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l’heureuse évidence. Le soleil levé trouva les voyageurs à la lisière occidentale de la forêt d’Alligunge. Ils s’étaient déjà relayés deux fois, et le tigre du chemin n’avait pas un seul instant fait mine de les poursuivre.

Le colonel m’a toujours déclaré que, pour lui, chasseur expérimenté, ce fait était demeuré une énigme. Il en avait vainement cherché le mot, et, finalement, s’était contenté d’une explication banale, peut-être juste, après tout, à savoir : que le fauve avait copieusement festoyé avant de se trouver en tête-à-tête avec la caravane, et que celle-ci n’avait dû son salut qu’à une indigestion de la bête. Il avait eu, d’abord, la pensée que le tigre était peut-être aveugle. Mais, outre que cette hypothèse n’eût pas justifié son inaction, l’odorat étant plus que suffisant à le guider, le colonel avait fort bien observé la dilatation et le rétrécissement des prunelles de l’animal au passage de la lumière des torches. Force lui était donc de s’en tenir à la première version, à moins de recourir aux légendes indiennes qui soumettent le tigre aux influences actives ou passives de Kâli, lorsqu’elles n’en font pas l’incarnation immédiate de la hideuse déesse.

Je demandai à Steadman, lorsqu’il me fit le récit de cette rencontre :