Aller au contenu

Page:Du Laurens de la Barre - Fantômes bretons.djvu/16

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

20
FANTÔMES BRETONS


pour la soif qu’il avait, surtout en été. À côté du champ de Mathurin, il y avait un autre domaine, bien plus grand, et qui n’était séparé de l’autre que par une borne plantée entre deux sillons. Ce domaine appartenait à Jacques, un bon paysan de Saint-Léry, qui, ayant d’autres biens au soleil, ne venait pas tous les jours du côté de Gaël.

Voilà qu’un beau soir que Mathurin méditait, appuyé sur sa bêche dans son champ, tout près de la borne, il se disait, inspiré par l’envie qui le mordait : — Comme mon champ est petit, et comme celui de Jacques est grand ! En vérité, il est trop grand pour un seul. C’est une injustice…

Et il se rapprocha de la pierre bornale, qu’il frappa d’un coup de pied. — Tiens, dit-il, la borne n’est pas bien solide : je crois qu’elle bouge.

Et il donna un second coup de pied :

— Non, pour sûr, elle n’est pas solide ; et puis la terre est si molle à cet endroit… Oui, c’est fâcheux, car un pas plus loin, du côté de Jacques, le terrain est plus dur. Ah ! si la borne était là, on n’aurait pas peur de la renverser, rien qu’en la poussant… Ma foi, la voilà en bas… maintenant, il s’agit de la replanter.

À l’instant, le diable lui souffla dans l’oreille : — Plante-la plus loin, dans le terrain solide.

— Tiens, qui est-ce qui m’a parlé ? dit Mathurin… Personne… Je croyais pourtant… Oui, j’en suis certain, on me l’a dit : ma foi, ce sera bien mieux, car tous les sillons se ressemblent.