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L’HOMME EMBORNÉ


Et, tout en parlant ainsi, il se mit à faire un bon trou de l’autre côté du sillon, dans le terrain solide, comme il disait.

Mathurin suait à grosses gouttes, afin d’aller plus vite en besogne ; car le jour baissait rapidement ; et chaque fois que Mathurin se reposait pour reprendre haleine, il entendait encore cette maudite voix lui disant : — Allons, peureux, ne t’arrête pas en si bon chemin.

Enfin, voilà le trou fait à la mesure de la borne, qui avait bien trois pieds de haut. Il n’y a plus qu’à la soulever, à la porter un pas seulement, et le tour est joué ; et Mathurin sera riche d’un sillon de plus… Riche !… mais sa probité aura diminué d’une aune, pour le moins.

Bah ! qu’importe !… qu’importe !… personne ne te voit, Mathurin… Personne : la nuit sera noire tout à l’heure… Personne ne saura : les nuages sont lourds et bas, et la pluie qui va tomber effacera tout… Personne ne t’épie : les sillons mouillés seront pareils demain matin, et le blé poussera… Ah ! ah ! ah ! la bonne affaire !…

— Hein ! qui est-ce qui rit là-bas ?… Personne.

Et voilà notre voleur de terre de saisir la borne dans ses bras et de la presser avec force contre sa poitrine, qui en craque. Il la presse comme s’il l’aimait ardemment. Il la soulève ; il la porte ; il se baisse au dessus du trou et ouvre les bras : la voilà !… Non ! malheur ! La borne ne glisse pas : la borne se cramponne aux os de Mathurin, comme la convoitise à son âme. Il recule,