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LE FILS DU PILLEUR


nous raconterons tout à l’heure, le laissa lire avec horreur au fond de ce mystère, peut-être était-il trop tard pour qu’il lui fût possible de repousser des sentiments nourris par l’enfance, l’habitude et l’amitié, ces trois sœurs du souvenir.


II

Or, Christophe Brionel, homme violent et orgueilleux de son importance relative, avait une fille unique, nommée Martha, chétive créature, pâle et boiteuse ; mais la douceur et l’éclat de ses grands yeux bleus donnaient à sa physionomie une expression touchante et indéfinissable. Son père, tout occupé de ses fonctions avant qu’il eût pris sa retraite, et se livrant depuis à la pêche avec ardeur, quelquefois, à l’occasion, pilotant les caboteurs à l’entrée de la rivière de Morlaix, son père n’était pas d’humeur à surveiller la petite Torte, comme on l’appelait. Celle-ci se rendait chaque jour à l’école du village, où la pauvre femme d’un gabarier apprenait tout juste aux enfants à épeler et à haner leurs prières. Par ailleurs, la surveillance de Martha était livrée à une vieille paysanne qui avait assez de balayer cent fois le jour sa cuisine où elle brûlait et enfumait le plus souvent les vivres du patron. Après la classe, la jeune bande se dispersait par dunes et grèves pour y chercher des coquillages et des galets brillants. Martha, qui ne courait pas sans peine, allait s’asseoir sur une roche élevée, d’où elle suivait tristement les joyeux ébats des goëlands sur le ciel et de ses petites amies, autres mouettes qui semblaient voler