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FANTÔMES BRETONS


d’alouette, était un objet bien difficile à garder pour un tuteur de soixante ans, qui n’avait connu que la guerre. Par malheur, Katel n’entendait point raccourcir sa jeunesse par le mariage. Elle aimait le plaisir et les fêtes à la folie ; la danse était sa vie. Elle ne rêvait qu’à la danse, et répondait aux pressantes sollicitations du comte Moriss :

— Quand j’aurai trouvé un joli cavalier capable de danser avec moi douze heures durant, à celui-là je donnerai mon cœur et ma main.

Cette réponse fut publiée à son de trompe dans toutes les paroisses du Léon, et bientôt nombre de jeunes seigneurs riches et des mieux tournés vinrent voir la belle brune et faire leur demande. Alors, Katel donnait à ceux qui lui plaisaient rendez-vous pour telle ou telle assemblée de la saison. Dans ce temps-là, les beaux pardons n’étaient pas rares dans le pays. On y dansait tout le jour et souvent la moitié de la nuit. La sylphide volait, presque sans toucher le gazon, sans se reposer jamais pour ainsi dire ; et lorsqu’elle avait saisi la main d’un jeune cavalier, s’il se laissait entraîner au gré de l’enchanteresse, il était perdu, car elle le fascinait, l’ensorcelait à tel point, que l’imprudent, possédé par ce démon charmant, dansait, sautait, tournait jusqu’à ce que souvent mort s’ensuivît…

Elle avait ainsi causé bien des deuils dans les châteaux du comté. L’indignation publique, les cris de vengeance qu’elle pouvait entendre, auraient dû l’avertir que son heure aussi ne tarderait pas à sonner. Mais son cœur était dur et elle ne voulait pas changer.