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L’HOMME EMBORNÉ



II

Mathurin eut bien d’autres aventures dans son voyage : les maisons croulaient, les barques sombraient sous le poids de sa borne, décuplé par celui de son péché… et chaque fois qu’il demandait à un passant : « Où la mettrai-je ? où la mettrai-je ? » on lui répondait toujours : « Il faut la garder, puisque tu l’as prise. » C’était désespérant !

Enfin, un beau jour que, s’étant mis à genoux au bord d’un chemin, pour se reposer, lui et sa vieille sorcière, il faisait sans doute de tardives réflexions sur l’inconvénient de prendre le bien d’autrui, Mathurin vit venir un voyageur, un homme énorme, de neuf pieds de haut pour le moins. L’inconnu avait une barbe blanche, longue d’une aune, et aussi épaisse que la mousse qui couvre le tronc des vieux chênes. Il faisait chaud. Le voyageur suait en marchant à grands pas. Il allait, il allait comme le vent.

— Par charité, lui dit Mathurin, arrêtez-vous et écoutez-moi.

— Je n’ai pas le temps, fit le voyageur, en marquant le pas avec rage ; je ne puis m’arrêter plus de cinq minutes, tous les dix ans. Pourtant je suis bien las : je marche depuis si longtemps, si longtemps !

— C’est comme moi, dit le paysan, je voyage depuis plus de six mois.

— Six mois ! La belle affaire. Il y a bien plus de mille ans que je marche, moi, avec cinq sous dans ma bourse.