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Page:Du Laurens de la Barre - Fantômes bretons.djvu/24

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FANTÔMES BRETONS


— Vierge Marie ! s’écria l’homme emborné ; alors vous êtes le Juif-Errant ?

— Vous l’avez dit, mon fils ; je suis Isaac Laquedem Ashvérus, le maudit !! Adieu, adieu.

— Au moins, reposez-vous une minute, reprit Mathurin, stupéfait.

— Impossible, soupira l’homme errant, si ce n’est une fois en dix ans, et encore faut-il qu’un chrétien m’offre un siége, à moi, à moi qui, repoussant le Sauveur, lui ai dit : « Marche, va-t-en d’ici !! »

— Ô ciel ! s’écria le paysan, vous avez chassé le Sauveur portant sa croix ?

— Oui, je le fis… Hélas ! que de pécheurs sur la terre font encore comme moi… Mais, ce jour-là, un ange du ciel me jeta l’anathème : « Tu marcheras, me dit-il, jusqu’au jour du jugement. » Et je marche sans cesse, et mon vol errant, pareil à l’Esprit du mal, traverse les siècles sans s’arrêter jamais, jamais…

— Eh bien ! mon vieux Laquedem, moi je vous offre une place pour vous reposer, lui dit Mathurin ; venez, là, tout auprès de moi, sur ma poitrine ; ne craignez rien, c’est solide.

Alors, Ashvérus, attendri, s’assit en pleurant sur la borne de Mathurin… Trois minutes après, il se releva soulagé.

— Merci, dit-il au paysan ; tenez, voilà mes cinq sous ; que puis-je encore pour vous ? Dites vite, car mes jambes frémissent ; il faut que je parte.

— Où la mettrai-je ? où la mettrai-je ? fit Mathurin en découvrant sa borne.