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FANTÔMES BRETONS


d’un édifice qui s’écroule, firent trembler la falaise. Tous les assistants à la fois poussèrent une clameur d’épouvante, en s’écriant : « Seigneur, le bâtiment est perdu ! » Puis ils coururent à l’endroit où le sinistre venait d’avoir lieu. De nouveaux brasiers furent allumés ; des matelots dévoués et courageux, au nombre desquels se trouvait le vieux Jacques, se mirent à la mer, munis de gaffes et de cordages, dans l’espoir de sauver les naufragés.

Le navire s’était jeté sur des brisants un peu au-dessus de la baie de Lok-Maria. Il avait manqué l’entrée de la baie, soit que l’état de la mer eût rendu le gouvernail impuissant, soit que le capitaine, trompé par les signaux, eût pris le brasier de la grève pour le fanal de la tour.

On vit alors, à la lueur de ce brasier, un spectacle touchant ; un jeune homme, au visage calme et beau, les mains jointes, les yeux levés au ciel, s’avança sur le gaillard d’avant, la seule partie du navire qui ne fût pas encore engloutie ; il aida le dernier de ses matelots à se jeter à la mer, et quand il fut certain qu’il n’y avait plus la moindre chance de salut pour son vaisseau et qu’il ne restait plus que lui à bord, il ôta son habit, jeta sur la mâture brisée un regard douloureux, puis, faisant le signe de la croix, il plongea dans les flots.

— Abel, Abel ! s’écria Jacques en reconnaissant avec stupeur l’infortuné jeune homme ; Abel, mon enfant… c’est lui, juste ciel ! sauvons-le, matelots…

Et le vieillard fit des efforts désespérés pour s’avan-