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FANTÔMES BRETONS


rattrapait momentanément son centre de gravité qu’au moyen d’un soubresaut des plus comiques qui le portait alternativement d’un côté à l’autre de la route. Mais cette singulière pantomime ne pouvait durer bien longtemps, à cause de la pente et des inégalités de terrain, et surtout de l’ivresse croissante de notre homme. C’était le dénoûment prévu et inévitable que nous attendions pour achever ce divertissement, à peine avouable. Enfin le roulis qui agitait le paysan devint étonnant, insoutenable, fantastique. Son chapeau avait déjà mordu la poussière, à cinquante pas de là ; il agitait encore le bras pour le ressaisir. On eût dit une chaloupe désemparée et en détresse sur des houles bondissantes. Hélas ! le naufrage était inévitable ! Un caillou au rebord du chemin fut l’écueil contre lequel notre homme alla sombrer, corps et biens… Et dans quelle position, juste ciel !…

Nous avons dit que les fossés étaient garnis de fortes touffes d’ajoncs, d’épines et de broussailles : ce fut au beau milieu qu’il alla donner, la tête la première, avec accompagnement de huées de tous les passants. Mais nul ne s’occupa de dégager le malheureux, de l’arracher aux pointes acérées qui devaient lui labourer la figure et la poitrine ; on riait, on le poussait du pied, puis on passait. « Il ne pouvait tomber mieux, disait-on ; sa tête est à l’abri du serein de la nuit, et ses jambes ne dépassent point l’ornière où le karriguel-Anankou (char de la Mort) pourra rouler ce soir sans lui rompre les os. »

Tel est le cas que l’on fait en Basse-Bretagne d’un