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LE POUSSEUR DE LA DOURDU


Or autrefois, non loin de ce rivage redoutable, s’élevait le sombre manoir du Dourdu. Il se dressait comme un fantôme de pierre sur ces hautes falaises qui, avec les côtes abruptes de Carantec, forment la baie mélancolique au milieu de laquelle on voit aujourd’hui le château du Taureau, ce château d’If armoricain.

On dit encore aujourd’hui, et l’on affirmait jadis, qu’un fantôme — âme en peine de quelque marin mort dans le péché — vient errer sur la grève, au milieu des ténèbres, sondant les flots glauques de ses yeux caves, afin d’y découvrir la place où repose son navire englouti avec son chargement de doublons.

Des fenêtres du manoir on pouvait apercevoir la sinistre baie, et plus loin la haute mer déployant ses plaines immenses. Sur le bord de la baie, au levant, on voyait, au dessus des récifs, un grand rocher miné par les vagues et pareil à un noir vaisseau à l’ancre depuis des siècles. C’était sur ce rocher que le fantôme accomplissait sa veille nocturne.

Le sire du Dourdu habitait son manoir solitaire avec Igilt, sa fille unique : Igilt, la brune, aux yeux bleus comme la sombre mer d’Armorique ; belle comme une nuit d’automne sur les grèves ; rêveuse et grave comme une fée ; ambitieuse et fière comme une reine…

Avant de mourir, le vieux sire eût bien voulu la marier à quelque jeune et honnête héritier de son voisinage, dont le noble caractère eût honoré sa vieillesse en faisant le bonheur de sa fille. Bien différent d’une foule de gens qui pèsent la bourse plutôt que le cœur