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LA FOLLE DE SUCINIO


avait déjà pris sa volée dans la direction de la grève.

— L’enfant veut aller au bord de la mer, du côté de la pointe qui fait face au plateau de la Recherche…, où le navire de mon mari s’est perdu… J’y vais souvent avec elle… elle ramasse des galets, et moi je puis du moins y soulager ma peine en pleurant.... Tout auprès, se trouve la maison abandonnée.

— Mais pourquoi la nomme-t-on la maison de la folle ?

— Ah ! monsieur, c’est une triste histoire, je vous assure. Pourtant, si vous le désirez, je puis vous la raconter. Cela fait tant de bien de voir des personnes qui compatissent aux peines du pauvre monde !…

Nous suivîmes de loin les pas de Janic, que nous perdîmes bientôt de vue au milieu des rochers de la côte et de la brume des vagues. Alors nous nous assîmes sur une dune élevée. Devant nous, la haute mer soulevait de longues houles, sous une brise assez forte, mais sans courroux. Le soleil, qui descendait sur la mer, du côté de Quiberon, donnait aux vagues des teintes changeantes, d’or, d’émeraude et de pourpre ; puis, en nous retournant, nous pouvions apercevoir de cet endroit les sombres ruines de Sucinio. La mère de Janic reprit ainsi la parole :

— Je suis veuve, je vous l’ai dit, monsieur, d’un capitaine de navire naufragé, là, en face de nous, il y a treize ans passés, depuis le vendredi saint. Nous avions un peu d’aisance et une petite métairie, que Jean Quéven, mon mari, vendit pour faire construire