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Page:Du Laurens de la Barre - Fantômes bretons.djvu/76

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FANTÔMES BRETONS


un joli brick-goëlette de cent tonneaux. Je me souviendrai toute ma vie du jour de son premier appareillage dans le port de Vannes. J’étais jeune et heureuse alors : mariée depuis deux ans, je n’avais eu que des joies dans la vie. Hélas ! Dieu m’en réservait les épreuves, pour mon salut, sans doute, et je ne murmure pas....

J’étais jeune et parée de mes habits de noce. Jean, le nouveau capitaine du Saint-Gildas (c’était le nom de notre brick), me conduisit à bord, par une belle matinée de septembre, et me nomma tous ses matelots par leurs noms. Ce fut une vraie fête : les marins chantaient et buvaient à nos santés, tandis que le navire, toutes voiles dehors, descendait, par une faible brise de nord-est, et traversait doucement les passages de Conlo, de l’Île-aux-Moines et de Cardélan. Inquiète pourtant du long voyage qu’allait faire mon mari, je sentais la tristesse me gagner à mesure que le moment de la séparation approchait, et chaque fois que Jean me quittait pour donner quelques ordres, j’examinais les physionomies de ses compagnons de traversée. Tous me plurent, à l’exception du second. C’était pourtant un homme de notre pays, marié depuis peu à une fille d’Arzon, mon amie d’enfance. Il se nommait Claude Mizan et pouvait avoir alors trente ans, le même âge que mon mari. Sa femme, plus jeune de six ans, petite blonde, aux yeux bleu clair, au sourire doux et triste, enfin bonne et jolie comme un ange, portait le nom de Julie-Marie. Il me sembla que Mizan avait le regard dur et faux. Je voulus, pour diminuer