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Page:Du Laurens de la Barre - Fantômes bretons.djvu/77

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LA FOLLE DE SUCINIO


mon inquiétude, causer avec Jean du caractère de son second ; il me répondit en riant que Claude, avec son air sournois, était un bon garçon, qu’il avait la main ferme, et que c’était une qualité précieuse à bord… Hélas ! la chaloupe du passage d’Arzon parut alors, au fond d’une anse voisine. Le bruit des rames était déjà plus fort que la voix de mon mari, qui essayait de me consoler et qui pleurait lui-même autant que moi… Le jusant de la mer commandait de faire route ; Mizan, ô Dieu ! Mizan, dont je lus toute la méchanceté dans un regard, fit remarquer cela à l’équipage et m’arracha presque des bras de mon mari. On m’entraîna dans la chaloupe, suffoquée de douleur et tout agitée de pressentiments.

Je ne veux point vous parler de tous mes chagrins, ni de la longueur de mes jours d’attente ; mais je dois vous dire combien j’eus de peine auprès de Julie-Marie. Elle demeurait, depuis son mariage, dans une maisonnette blanche, nouvellement bâtie, sur la pointe de Saint-Jacques, à une demi-lieue du village de Kerfontaine, où mon mari et moi nous habitions aussi depuis peu de temps. Si la brume ne commençait pas à couvrir la grève, nous pourrions apercevoir d’ici la maison en ruines de ces malheureux. Personne ne veut y demeurer aujourd’hui ; le souvenir de Mizan est attaché à ce triste foyer comme une malédiction.

Julie-Marie tomba bientôt malade. Était-ce la douleur causée par le départ de Claude ? Était-ce l’inquiétude au sujet de leur situation de fortune, que l’on disait embarrassée ? ou n’était-ce pas plutôt, hélas ! je