Le roi de Guei s’était attaché le fameux général, dont je viens de parler, nommé Ou ki : il avait conçu une aussi haute idée de la sagesse de ce grand homme, que de sa valeur. Un jour qu’il s’entretenait familièrement avec lui sur les richesses et sur la puissance de son État, que la nature avait fortifié par des rochers inaccessibles, Ou ki lui répondit qu’il se trompait fort, s’il mettait sa confiance et la sûreté en des rochers escarpés ; que la force et la grandeur d’un État dépendait de la vertu et de l’application de celui qui le gouvernait.
Cette réponse augmenta dans l’esprit du prince l’estime, dont il était déjà prévenu en faveur de ce capitaine. C’est pourquoi ayant déclaré la guerre au roi de Tsin il lui donna le commandement de son armée. Ou ki attaqua l’armée ennemie, la défit entièrement, et força le prince à demander la paix.
D’autres actions également éclatantes, par lesquelles ce général signala sa valeur, le firent tendrement aimer du prince ; il crut même devoir le récompenser, en l’élevant à la dignité de son premier ministre.
Ce choix ne plut pas aux Grands du royaume ; ils tâchèrent de rendre sa fidélité suspecte, et firent entendre au roi qu’il n’était pas prudent de mettre la charge la plus importante de l’État entre les mains d’un étranger. Ou ki étant informé des mauvais offices qu’on tâchait de lui rendre, sortit secrètement du royaume, et se retira à la cour du roi de Tsou.
Son mérite ne fut pas longtemps sans y être connu : on le mit à la tête des troupes, et après avoir gagné plusieurs batailles, il obligea différents princes de rechercher l’amitié et l’alliance de son maître. Tant de mérite et de prospérités irritèrent l’envie des Grands, qui s’efforcèrent de le ruiner dans l’esprit du roi : mais n’ayant pu y réussir, ils conspirèrent non seulement contre ce favori, mais encore contre la personne de leur souverain.
Ou ki découvrit la conspiration ; et tous ceux qui y avaient trempé, furent, ou chassés du royaume, ou mis à mort. Il changea ensuite la forme du gouvernement. Il donna des bornes à l’autorité des Grands et des ministres, et réunit toute la puissance dans la seule personne du prince.
Cette réforme de l’État le rendit si florissant, qu’il devint redoutable à tous les princes voisins : ils agirent de concert avec les gouverneurs et les magistrats du royaume de Tsou pour perdre un homme qui avait établi le roi son maître dans une si grande supériorité de puissance et d’autorité. On le trouva assassiné dans sa propre maison. L’année quarante-deuxième du cycle, où finit la vie de l’empereur, mit son fils Lie vang sur le trône.